Blogue sur invitation − Du dialogue à la responsabilisation : un appel au leadership canadien dans les affaires et les droits de la personne

 

Repris d’un blogue du Centre de ressources sur les entreprises et les droits de l’homme

Pendant que les membres du Groupe de travail des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’homme terminent une visite de dix jours au Canada, Karyn Keenan discute des prochaines étapes de la responsabilisation des entreprises au pays.

Cette semaine, les membres du Groupe de travail de l’ONU sur les entreprises et les droits de la personne terminent une visite de dix jours au Canada. Le choix du Canada comme l’un des deux seuls pays que le groupe visitera cette année tombait à point nommé, étant donné le risque particulièrement élevé de méfaits sociaux et environnementaux associés aux projets de l’industrie extractive et la dominance mondiale du Canada dans le domaine de l’exploitation minière. Afin d’éliminer les graves méfaits souvent liés à l’exploitation minière, pétrolière et gazière, le Canada devra jouer un rôle de premier plan pour ce qui est de combler les lacunes dans la gouvernance. Fort heureusement, la question de savoir quel rôle le gouvernement du Canada devrait assumer quand il s’agit d’aborder les répercussions des projets d’extraction canadiens à l’étranger est souvent débattue par les citoyens.

Elle fait l’objet de débats au Parlement depuis au moins 1999, année où l’on a entendu des allégations selon lesquelles la compagnie pétrolière Talisman était complice de violations de droits de la personne perpétrées par l’armée soudanaise. Plus récemment, elle a attiré l’attention des médias en raison des poursuites judiciaires alléguant que des compagnies canadiennes auraient participé à des actes de violence en Érythrée et au Guatemala, et de travaux de recherche faisant état de 44 décès et plus de 400 blessures survenus dans des mines appartenant à des entreprises canadiennes en Amérique latine. L’Amérique latine a été le théâtre d’au moins 85 cas de conflits socio-environnementaux locaux impliquant des entreprises d’exploitation minière canadiennes, dont certaines reçoivent un soutien politique ou financier du gouvernement canadien.

C’est aussi une question à laquelle les autorités de l’ONU ont donné des réponses claires. Au cours des deux dernières années seulement, les organes des Nations Unies créés par traité ont pressé le Canada de renforcer les lois qui gouvernent les activités des entreprises canadiennes à l’étranger, d’exiger que les compagnies évaluent les risques liés aux droits de la personne avant d’effectuer des investissements, de créer un mécanisme permettant de faire enquête sur les plaintes dénonçant les violations des droits de la personne par les sociétés multinationales canadiennes et d’élaborer un cadre de travail établissant des recours légaux pour les victimes de ces gestes de violence.

Le gouvernement du Canada n’a pas encore présenté de plan clair et crédible indiquant comment il compte s’acquitter de son obligation juridique de prévenir les violations des droits de la personne par les multinationales canadiennes et de prévoir des recours le cas échéant. Son cadre de politique dans ce domaine se limite à une stratégie héritée du gouvernement précédent qui encourage les entreprises extractives à adhérer à des normes de responsabilité environnementale et sociale dans le cadre de leurs activités à l’étranger, mais ne les oblige pas à le faire. Lorsque sont déposées des plaintes selon lesquelles une société ne respecte pas ces normes, le Canada n’offre que des processus de médiation à huis clos où l’on encourage l’entreprise à entamer un dialogue avec les plaignants. Ces processus ne comprennent aucune fonction d’enquête et n’assurent pas un accès aux instances judiciaires.

Accès aux recours

Le Canada pourrait bientôt changer de cap en ce qui a trait à la responsabilisation des entreprises. On s’attend à ce que le gouvernement annonce la création d’un ombudsman qui sera chargé de faire enquête sur les allégations de méfaits par les entreprises extractives qui sont actives à l’étranger – mesure qui jouit de l’appui de tous les principaux partis politiques du Canada sauf un. Comme le stipuleraient les lois proposées par la société civile canadienne, l’ombudsman serait habilité à faire enquête et à déterminer si une entreprise contrevient aux normes internationales de droits de la personne. Il pourrait recommander publiquement que l’entreprise ou le gouvernement prenne des mesures pour mettre fin à la violence, fournisse des recours ou prévienne les méfaits futurs – éléments qui sont tous absents du cadre canadien actuel.

Annoncer la création d’un ombudsman est une mesure que le gouvernement pourrait prendre immédiatement, avant la fin de la visite du groupe de travail de l’ONU, afin de démontrer le leadership du Canada dans la promotion de la responsabilisation dans le secteur extractif.

Pour aborder le besoin d’accès à la justice, le gouvernement devrait déployer des efforts pour éliminer les obstacles auxquels se heurtent les étrangers qui cherchent recours devant les tribunaux canadiens pour des torts causés par des entreprises canadiennes ou leurs filiales étrangères. Bien que des cas impliquant des plaignants étrangers et des entreprises canadiennes accusées de méfaits soient actuellement devant les tribunaux dans deux provinces, ces litiges demeurent extrêmement complexes. Les obstacles juridiques, logistiques et financiers rendent les tribunaux canadiens inaccessibles pour la vaste majorité des plaignants étrangers potentiels.

Promouvoir la responsabilisation des entreprises

De surcroît, le Canada doit déployer davantage d’efforts pour prévenir les violations des droits de la personne par des entreprises avant qu’elles ne se produisent. Dans l’esprit de l’obligation d’exercer une diligence raisonnable qui devient peu à peu la règle en Europe, le Canada devrait obliger les entreprises à évaluer et à réduire les risques de violation des droits de la personne dans leurs activités et chaînes d’approvisionnement internationales, comme l’a fait la France. Il devrait aussi imposer des sanctions civiles et criminelles aux entreprises ou aux administrateurs de sociétés qui commettent des violations des droits de la personne. Il doit prendre des mesures pour veiller à ce que les ententes d’investissement internationales ne l’empêchent pas ni ses partenaires commerciaux de respecter leurs obligations en matière de droits de la personne. Dans tout accord commercial, les protections des investissements doivent être assorties de dispositions tout aussi robustes qui préservent la capacité des gouvernements de protéger les droits de la personne et l’environnement grâce à des règlements efficaces.

Enfin, il est crucial que le gouvernement du Canada cesse d’offrir un soutien public aux entreprises qui violent les droits de la personne. Les entreprises reçoivent un important soutien politique et promotionnel de la part des ambassades canadiennes et du ministère fédéral du Commerce, et des centaines de milliards de dollars en financement et en capitaux propres de son organisme de crédit à l’exportation et de son fonds de pension. En vertu de la politique actuelle, une entreprise accusée d’avoir violé des droits de la personne à l’étranger pourrait se voir refuser un soutien commercial ou un crédit à l’exportation dans les deux cas suivants : si elle fait l’objet d’une plainte officielle et refuse de participer à un dialogue facilité, ou si le conseiller en matière de responsabilité sociale des entreprises du secteur extractif est d’avis que les pratiques de l’entreprise sont contraires aux normes de responsabilité sociale.

On a recensé seulement un cas où une entreprise a fait face à la possibilité de sanctions en vertu de cette politique depuis l’adoption de cette dernière en 2014. La personne-ressource nationale de l’OCDE au Canada a déclaré en 2015 que le refus de China Gold d’accepter la médiation serait « pris en considération » par le ministère du Commerce ou l’organisme de crédit à l’exportation si l’entreprise présente une demande d’aide financière. La plainte déposée contre l’entreprise alléguait que les pratiques de cette dernière avaient entraîné la mort de 83 travailleurs. Pour continuer d’être admissible aux services du gouvernement, China Gold n’est pas tenue de démontrer que ces allégations sont fausses ni de rendre ses activités conformes aux normes de l’OCDE. Tout ce qui est exigé de l’entreprise, c’est de prendre part à un dialogue.

Alors que le Canada se contente d’imposer une modeste amende aux entreprises qui refusent de participer à un dialogue, d’autres pays infligent des amendes aux entreprises qui commettent des gestes répréhensibles causant des torts. S’il veut rétablir sa réputation comme chef de file mondial en matière de droits de la personne, le Canada doit aller au-delà du dialogue et prendre des mesures rigoureuses concernant la responsabilisation.

Karyn Keenan est la directrice d’Above Ground, un ONG qui veille à ce que les entreprises établies au Canada ou appuyées par l’État canadien respectent les droits de la personne, peu importe où se déroulent leurs activités. Above Ground fait enquête sur les répercussions des activités des entreprises canadiennes à l’étranger, propose des solutions pour la responsabilisation des entreprises au Canada et encourage le gouvernement canadien à s’acquitter de son devoir juridique de prévenir les violations des droits de la personne par le secteur privé et de donner accès à la justice aux victimes de ces violations.

Karyn était également stagiaire et conseillère en projets spéciaux à l’ACDE vers la fin des années 1990.