Le contrôle des substances toxiques au Canada est à la croisée des chemins

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En maintenant, il y a plus de 20 ans, la constitutionnalité de la loi fédérale sur les substances toxiques, la Cour suprême du Canada a réaffirmé que la protection de l’environnement est l’un des principaux défis de notre époque.

En effet, le contrôle des substances toxiques est à l’avant-garde du droit fédéral de l’environnement depuis les années 1970. Ainsi, la Loi canadienne sur la protection de l’environnement a pour but de conférer au gouvernement des pouvoirs étendus pour agir en toutes circonstances. Cependant, le large pouvoir discrétionnaire que confère cette autorité a souvent entravé les progrès vers la réduction ou l’élimination des expositions à des substances susceptibles de provoquer le cancer et d’autres effets indésirables, tels que la perturbation endocrinienne. En effet, bien que la protection de la santé humaine et de l’environnement soit le but explicite de la Loi, la réalité implicite de cette loi est la nécessité de ne pas interférer avec les intérêts commerciaux des entreprises qui fabriquent, importent et utilisent des substances toxiques.

Cela explique pourquoi, au cours des 25 dernières années, les gouvernements ont farouchement résisté à réformer la Loi. Le principe voulant que « l’industrie chimique permette de mieux vivre » a tout simplement triomphé de la simple prudence. Au milieu des années 1990, puis au milieu des années 2000, les gouvernements ont rejeté de manière inexplicable de nombreuses recommandations formulées par des commissions parlementaires et demandant 1) d’améliorer le filtrage des substances existantes et nouvelles et d’examiner des solutions moins toxiques ou non chimiques; 2) de faciliter l’accès aux informations sur les rejets de substances toxiques dans l’environnement et sur l’existence et les concentrations de substances toxiques dans les produits de consommation; et 3) de renforcer le rôle du public dans la mise en application des lois environnementales. Maintenant à la fin des années 2010, il semble que le gouvernement fédéral, une fois de plus, risque de remettre à plus tard les réformes nécessaires.

À la fin de juin 2018, le gouvernement fédéral a publié sa réponse aux 87 recommandations énoncées en juin 2017 par un comité parlementaire et portant sur la réforme de la Loi. Elles faisaient suite à 9 mois d’audiences qui ont commencé au début de l’année 2016 et pendant lesquelles tous, mis à part les représentants de l’industrie, ont plaidé pour l’adaptation de la loi sur les substances toxiques aux réalités du XXIe siècle. Considérant que la Loi canadienne sur la protection de l’environnement n’a pratiquement pas fait l’objet de modifications substantielles depuis la fin du XXe siècle, la demande n’était pas déraisonnable.

Il est impératif de répondre à cette question, peu importe si le gouvernement fédéral fait la sourde oreille à ce sujet. Alors que le gouvernement était d’accord avec les nombreuses recommandations formulées par le comité dans le rapport de 2017, sa réponse indiquait clairement qu’il est fort réticent à apporter des changements à la Loi parce que ceux-ci n’apparaîtront pas avant les « futures sessions parlementaires » ou jusqu’à ce qu’un examen gouvernemental portant sur la gestion des produits chimiques soit présenté après 2020. En outre, la réponse proposait également d’étudier plus profondément certaines recommandations concernant des questions telles que la substitution des substances chimiques très préoccupantes, qui avaient déjà fait l’objet de nombreuses études au cours des dernières années. Pour beaucoup, l’« engagement » de modifier la Loi voudrait dire dans le fond que « la question sera examinée après les prochaines élections ».

L’exposition aux substances toxiques pour l’environnement et la santé humaine ne se produit pas sur la base des cycles électoraux. Les quasi-engagements du gouvernement à étudier la question à nouveau, alors qu’elle a déjà été étudiée en profondeur, ne laissent pas croire qu’il a compris le message du public. Ironiquement, la toute première recommandation du comité pour laquelle le gouvernement a montré un certain enthousiasme était un amendement proposé à l’origine par le gouvernement lui-même, qui retarderait d’une décennie la prochaine révision parlementaire. Une telle lenteur à entreprendre la révision de la Loi peut nuire à la nécessité de réagir rapidement aux nouvelles agressions environnementales dues aux produits chimiques.

Le Canada peut faire mieux. Nous pouvons soumettre les substances nouvelles et existantes à des tests plus rigoureux, exiger de meilleures données et imposer des exigences strictes pour envisager des solutions de remplacement sans mettre en péril notre économie. La législation européenne le démontre depuis plus de dix ans.

Le Canada pourrait faire participer plus efficacement le public dans le processus de mise en application de la loi sur les substances toxiques en reconnaissant son droit à un environnement sain sans craindre de favoriser la multiplication des poursuites. Les lois de certains États américains, comme celle du Michigan, le démontrent depuis des décennies.

Le plus récent Inventaire national des rejets de polluants montre qu’entre 2013 et 2016, on a observé une augmentation de 40 % des émissions atmosphériques de plomb, une neurotoxine bien connue, provenant d’installations à travers le Canada. Le gouvernement fédéral peut faire mieux que de refuser de modifier la Loi et doit adopter des normes nationales de qualité de l’air qui soient applicables et légalement exécutoires, comme il l’a fait dans sa réponse aux recommandations de la commission parlementaire.

Les femmes, les enfants, les personnes âgées, les populations autochtones, les pauvres, les travailleurs et les personnes ayant des problèmes de santé préexistants, entre autres, sont tous des populations vulnérables à l’exposition aux substances toxiques rencontrées dans l’environnement. Ces personnes ont besoin d’une meilleure protection que celle établie par la Loi canadienne sur la protection de l’environnement et ne peuvent se permettre de patienter jusqu’aux prochaines élections. Si nous n’agissons pas rapidement et si nous n’appliquons pas de réformes législatives solides, l’environnement et la santé des Canadiens en souffriront pour les générations à venir.